Un “autre” fils

En 2020, Maxime, son fils, n’a pas voulu reprendre la ferme familiale de Villevaud. Malgré la déception, Philippe Boile n’a pas tergiversé. Vincent Marrand était le repreneur idéal. Après avoir réparé des moissonneuses batteuses pendant vingt ans, il lui a fait confiance pour prendre la relève. Le jeune retraité ne souhaitait pas laisser sa ferme céréalière, à laquelle il a consacré “tant de temps et d’énergie“, à n’importe qui. En conversion bio, Vincent expérimente, aujourd’hui, de nouvelles cultures, comme le safran.

Dans la grande cour de la ferme, sur la boîte aux lettres, les noms de la famille Boile, Marcelle (la mère de Philippe) et Maxime (son fils) sont collés à gauche. Plus bas à droite, Vincent Marrand apparaît. Septembre 2021.

Vincent (à gauche) et un agent certificateur Ecocert discutent à proximité d’un champ de tournesols à maturité. La durée de conversion en agriculture biologique dépend de la culture semée, généralement de un à trois ans. Septembre 2021.

Pendant des années, j’ai travaillé autrement. Il n’y avait pas à réfléchir, tu voyais de l’herbe, tu désherbaisMais, c’est une solution avant le problème. Quand tu achètes la semence de blé, tu achètes les produits pour désherber avec. L’herbe n’est pas arrivée que tu sais déjà ce que tu vas faire. Ça a un côté rassurant, simple à gérer. C’est en grande partie pour ça que j’ai voulu changer de modèle, car tu ne décides plus rien.”

Vincent Marrand

Salarié de la ferme de Villevaud depuis ses 16 ans, Vincent Marrand souhaite devenir agriculteur depuis “toujours” contrairement à son père qui avait délaissé le métier. Septembre 2021.

Ancien mécanicien agricole, Vincent connaît parfaitement les rouages des moissonneuses batteuses. Septembre 2021.

Vincent termine la moisson de son tournesol qu’il vendra en “conversion bio” pour cette année en attendant l’année prochaine. Septembre 2021.

Vincent est membre de l’association Bio 63 qui promeut l’agriculture biologique dans le département. Créé en 1994, elle accompagne les producteurs en conversion ou en installation bio. Septembre 2021.

Philippe, qui habite à deux pas, retrouve souvent Vincent après sa journée de travail pour débriefer autour d’un “sirop“. Pour Philippe, Vincent est un “autre” fils. Habituellement, le midi, Vincent mange avec Marcelle, la mère de Philippe, qui vit toujours dans la maison attenante à la ferme. Septembre 2021.

Dans les années 90, Philippe faisait aussi de la sous traitance pour des travaux agricoles. Dans la cuisine, une photo montre cinq moissonneuses alignées dans une parcelle. Septembre 2021.

Le visage de l’agriculture n’est plus le même. Mon client numéro 1, c’est le consommateur. Ils veulent qu’on change. L’agriculture est mal vue.

Vincent Marrand

Au petit matin, le givre s’est déposé sur sa parcelle d’un hectare de safran. Au loin, la chaîne des puys se dessine. Octobre 2021.

Dans le Puy-de-Dôme, il existe environ une quinzaine de producteurs de safran. En France, on en compte plus d’un millier. Plus de 90 % de la production mondiale vient d’Iran avec plus de 120 tonnes par an. En comparaison, la France en produit moins de 100 kg. Octobre 2021.

Vincent fait appel à des amis sur un mois pour récolter les précieuses fleurs. Impossible à mécaniser, le travail manuel justifie le prix élevé de l’épice. Octobre 2021

Pour émonder les fleurs et récupérer le précieux pistil, Vincent et ses amis travaillent dans la cave à côté des bâtiments agricoles. Un travail minutieux à la manière de narcotrafiquants. Octobre 2021.

Avec l’aide d’un ciseau, Vincent coupe les pistils des crocus. Chaque bulbe produit six à neuf feuilles et trois stigmates ou “filaments”. Octobre 2021.

Philippe et sa chienne Laïka viennent aussi en aide à Vincent pour lui donner un coup de main. Octobre 2021.

Entre père et fille, une transmission salvatrice

L’entrée de la fromagerie, les Ti’fromages à Beaumont-lès-Randan, le 4 novembre 2022.

À Beaumont-lès-Randan, Laetitia Bourdier a repris l’exploitation familiale pour élever des chèvres et faire du fromage. Un projet qui fait renaître la ferme familiale, longtemps condamnée à sa perte.

Le bêlement des chèvres s’entend depuis la petite route qui mène à la fromagerie, les Ti’fromages, sur les hauteurs du hameau de La Garde. À l’intérieur, une quarantaine de « biquettes » s’éparpillent dans l’enclos tapissé de foin au sol. A côté, l’atelier de transformation et la chambre froide attendent la prochaine traite matinale.  « Et voilà ! », lance Laetitia Bourdier, le sourire aux lèvres. La jeune femme de 28 ans s’est installée à son compte pour confectionner des fromages de chèvre sur la commune de Beaumont-les-Randan.

Laetitia Bourdier avec ses chèvres, le 4 novembre 2022.

Sa jeune entreprise fait renaître la ferme familiale depuis deux ans. Pourtant, son père n’aurait jamais imaginé qu’un de ses enfants (Laetitia a aussi un frère) reprenne cette exploitation, synonyme, pour lui, de calvaire.

Une reprise inattendue

C’était dans les années 2000 se souvient Pascal Bourdier. « Ça a mal tourné… », admet-il, tête baissée. Les dettes ont commencé à s’accumuler. Le père de Laetitia élevait des poulets et faisait des céréales. « J’étais tout seul et je courais partout, rien n’allait », continue-t-il. Le prix des volailles et le marché des céréales se cassait la gueule ». Qu’est-ce qu’il pouvait y faire ? Une période compliquée s’en est suivie avec un redressement judiciaire de plus de quinze ans. « J’ai même dû prendre un travail de chauffeur à côté, j’étais double actif ».

Pascal Bourdier, le père de Laetitia, dans sa cuisine, le 4 novembre 2022.

En dépression, Pascal n’a pas supporté la situation. En 2006, après une tentative de suicide, il est hospitalisé et ne peut plus travailler. Le « trou noir » s’est poursuivi jusqu’en 2014 lorsqu’il décide de faire appel à l’association Solidarité paysans. Cette dernière apporte un soutien psychologique et accompagne les agriculteurs en difficulté. L’objectif était de restructurer l’exploitation pour faire des économies. « On a cherché ce qui n’allait pas. Mais rien ne clochait vraiment, les conditions du marché faisaient que ce n’était plus rentable ». Assise sur la chaise dans la cuisine, Laetitia réécoute l’histoire de son père, émue. « Il y avait des choses que je ne savais pas ». 

L’ancien bâtiment abritant les poulets s’est transformé en chèvrerie, le 4 novembre 2022.

« Mais pourquoi tu veux faire ça tu es folle ! »

En 2018, après plusieurs expériences, Laetitia n’a pas encore trouvé sa voie. « Je voulais travailler avec les animaux », confie-t-elle. Après une formation de technicienne agricole et un stage chez un chevrier, le déclic arrive et elle souhaite s’installer. Lorsqu’elle en parle à son père, l’enthousiasme est pour le moins absent. La jeune femme se souvient : « Il m’a dit texto : Mais pourquoi tu veux faire ça, t’es folle ! ». Le débat n’avait pas lieu d’être cette année-là. « Je me disais qu’elle allait se faire chier comme moi ».

Après plusieurs visites dans l’exploitation de Christian – le maître de stage de Laetitia lors de son apprentissage, « j’ai compris », explique Pascal. Ce qui m’a marqué c’est la passion qu’elle avait avec les chèvres ». Et puis, l’installation de sa fille ne s’est pas faite dans les mêmes conditions que lui. Moins de matériel, d’investissements, et « d’emmerdes » avec les céréales. « Je ne suis pas matérialiste, mais j’avais tiré jusqu’au bout pour m’en sortir. Il y a une certaine fierté qu’elle reprenne quelque chose derrière ».

Laetitia profite d’un moment privilégié avec une de ses chèvres, le 4 novembre 2022.

Après trois ans d’activité et le passage du Covid, Laetitia se sort un salaire de 650 euros par mois… « Heureusement, qu’il y a mon compagnon », avoue-t-elle. Le but serait de pouvoir en vivre. Pascal change de sujet. « Ça fait combien de temps que tu n’as pas vu Christian ? Comment va-t-il ? Je l’aime bien. »

Changement d’époque

Vincent Marrand, agriculteur céréalier en conversion bio dans la plaine de la Limagne, septembre 2021.

En France, la transmission des fermes est longtemps restée une affaire familiale depuis la Seconde Guerre mondiale, un des enfants prenant la suite de leurs parents, ce qui permettait de ne pas morceler l’exploitation. Le modèle de la petite exploitation familiale s’était imposé en France comme la forme « naturelle » de l’activité agricole. Une évidence. Aujourd’hui, l’évidence n’est plus là.

En 2019, Le Monde faisait le constat suivant en France. C’était même le titre de l’article.
« Le départ en retraite d’un agriculteur sur trois d’ici à trois ans va bouleverser le paysage agricole ». Population vieillissante, coût élevé du foncier, enjeux patrimoniaux, métier peu rémunérateur, etc. Autant de freins au renouvellement des générations.

En 2020, 496.000 agriculteurs (chefs d’exploitation) travaillent selon les résultats du dernier recensement décennal du Ministère de l’Agriculture publiés en décembre 2021. Ils étaient 1,6 million en 1982 selon l’Insee. Cette dégringolade vertigineuse, qui s’est accentuée depuis dix ans, s’explique par les crises successives, l’augmentation de la taille des exploitations et les contraintes qu’exige le métier. 

Dans le Puy-de-Dôme, ce sont près de 21.000 fermes qui se sont éteintes en 50 ans, entrainant avec elles, une augmentation de la concentration foncière des exploitations agricoles.

Un tiers des agriculteurs n’ont pas de projets d’avenir


Près de 50 % des chefs d’exploitation vont partir à la retraite d’ici à dix ans dans le département. Mais, difficile pour une majorité d’agriculteurs de passer le flambeau avec, de surcroît, des retraites souvent faibles. Selon la Chambre d’agriculture du département, un tiers des chefs d’exploitation qui ont plus de 60 ans aujourd’hui, ne souhaitent pas prendre leur retraite dans les cinq prochaines années. Sans projet concret pour l’avenir, un tiers ne connaît pas le devenir de leur ferme et anticipe même la disparition de leur exploitation. Certains enfants, ne souhaitant pas reprendre la ferme de leurs parents, se détournent du métier. Parfois, ce sont même les parents qui les dissuadent. 

Selon les données de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, avec 180 nouveaux agriculteurs en moyenne par an, le département affiche un taux de remplacement de 68 %, soit sept arrivées pour dix départs. La question de la transmission et de l’installation agricole constitue un enjeu d’avenir aussi bien à l’échelle locale que nationale.

« On n’est pas des sorciers » : de jeunes vignerons s’installent sur les coteaux auvergnats

Claire Freist et Edoardo Veltroni dans leur parcelle de pinot noir, le 30 mars 2023.

Sur les hauteurs de Chalus dans le sud du département, Claire Freist et Edoardo Veltroni démarrent le projet de leur vie. Devenir vignerons indépendants. Après avoir écumé les domaines de l’hexagone en tant que saisonniers, le couple a trouvé son bonheur au cœur des coteaux auvergnats.

« C’est la machine qui va commander la pompe. Il m’a dit que c’était très bien comme système. Par contre, il n’y a pas besoin d’un très gros compresseur. Une Liverani ça suffit ». Au téléphone avec son interlocuteur, Edoardo Veltroni, 31 ans, possède un accent italien distinctif. Devant le hangar, bardé en bois, qui entrepose le matériel de leur « petit domaine »  à Chalus, l’ingénieur agronome, désormais vigneron, originaire de l’île d’Elbe (Italie), prépare la mise en bouteille de sa première cuvée prévue en juin prochain. Le fruit d’un travail commencé il y a plus de deux ans.

La parcelle de pinot noir du couple sous le soleil alors que les nuages menacent sur plaine du Lembron, le 30 mars 2023.

«Trouver du terrain, ce n’était pas gagné d’avance », se souvient Claire Freist, 30 ans, en descendant d’une Jeep kaki de l’armée américaine. « Elle était à mon père. Je ne sais plus où il avait acheté ça, mais dans la pente des parcelles, c’est bien pratique », avoue-t-elle. Sur les contreforts du village auvergnat perché sur un éperon basaltique, le couple est propriétaire de cinq hectares de vignes, une partie en AOP côtes-d’auvergne.

Une recherche qui porte ses fruits

« Il faut demander, pousser des portes, se faire connaître, être à l’affût ». Selon la légende, c’est en buvant une bouteille de château Chalus avec « un mec » de la Safer (*) que les deux prétendants ont pu repérer l’affaire. Cantalienne sur les bords, la technicienne œnologue connaît la région. « Ça a peut-être aidé, mais je ne crois pas. Quand on n’est pas local, il y a un peu de travail à faire. C’est du bouche-à-oreille ». Sous la protection de l’imposant château médiéval, leur parcelle de chardonnay, exposée plein est, domine la Limagne du Lembron à 550 mètres d’altitude. « On est quand même pas mal ici », sourit Claire qui jette un œil au panorama.

Claire admire la vue sur les vignes au volant de sa jeep, le 30 mars 2023.

Passionnés, les deux techniciens se rencontrent en Bourgogne dans le milieu viticole. « J’ai saoulé les Bourguignons avec les vins d’Auvergne », rigole Claire. Avec leur expérience et leurs connaissances acquises au gré des domaines, ils « développent » aujourd’hui leur vin. À savoir, travailler de la récolte à la vinification et ainsi avoir la main sur l’entièreté du procédé.

L’ancien propriétaire vendait ses raisins à la cave coopérative Desprat-Saint Verny qui produit presque la moitié de l’appellation côtes-d’auvergne. Un changement de pratique assumé. « On est en deuxième année de conversion bio et en biodynamie ». Entre les allées des ceps de vigne, de « l’engrais vert » pousse. Petits pois, trèfles, etc. Ils testent différentes espèces végétales pour fixer l’azote dans le sol. « Et pourquoi ne pas faire venir des moutons aussi ? » 

Au volant, Claire pointe une parcelle encore vierge, toute juste labourée. « Là, on mettrait bien une rangée d’arbres à côté d’un syrah ». Trois hectares d’achat supplémentaires sont en projet. Les deux vignerons sont bourrés d’idées et d’ambition pour l’avenir. « Avec huit hectares et demi, ça serait l’idéal pour bien travailler à deux », pense Claire. Edoardo acquiesce. Financièrement, « il faut un peu serrer les dents la première année. Même la deuxième ».

Roche basaltique, caractéristique des puys auvergnats qui sont d’anciens volcans, le 30 mars 2023.

La dotation jeune agriculteur (DJA), une aide pour une première installation en tant que chef d’exploitation, leur a permis d’investir. « La pression est tout de même un peu là. Par rapport à notre business plan de départ, ça a bien augmenté », assure Claire en pointant Edoardo du regard dans le rétroviseur. « Le prix des bouteilles en verre ».

Retour aux fondamentaux lorsque la jeep s’arrête en haut de la parcelle de pinot. Situé sur un versant sud et un sol « volcanique », ce sera un vin fort, pas de doute. « C’est caractériel, plus animal. Tourbé », note la spécialiste. « La diversité des sols en Auvergne est vraiment intéressante. Il y a du potentiel ».

Dans le sous-sol de leur maison, les deux vignerons surveillent leur première cuvée, le 30 mars 2023.

Dans leur cave, au sous-sol de la bâtisse qu’ils louent, les premiers breuvages patientent dans des fûts de chêne. Au total, les jeunes vignerons préparent pas moins de 17.000 bouteilles. Pour des clients auvergnats, mais surtout pour l’exportation. Le couple n’a pas encore trouvé la signature de son vin ni l’étiquette à coller. C’est pour bientôt.

(*) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, elle permet l’installation de porteurs de projet en milieu rural en France.

Qu’est-ce que la biodynamie ?

Au printemps et à l’automne, les deux vignerons incorporent, près de leurs ceps, des préparations issues de l’agriculture biodynamique.


L’idée est de “donner des impulsions à la plante”. Claire y croit. La biodynamie part du principe que chaque être vivant suit sa propre évolution et est géré par un processus énergétique qu’il convient d’amplifier. En complément des pratiques agronomiques de base en agriculture biologique comme l’intégration de légumineuses et d’engrais verts, entre les rangs, les deux vignerons veulent “stimuler la vigne face aux agressions fongiques” et “réintroduire de la vitalité” dans le sol.

Alors, à base de bouse de corne, obtenue par fermentation de bouse de vache introduite dans une corne dans le sol, bien conservée, ils pulvérisent la préparation en complément de silice. “100 g par hectare”. Des décoctions sont aussi préparées dans un dynamiseur. “On va chercher l’eau de source au village dans un bidon. Les gens se demandent peut-être ce qu’on fait. Mais on n’est pas des sorciers”, sourit-elle. Une chose est sûre, le vin d’Edoardo et Claire sera certifié biodynamique.

« Bâtir un projet de reprise de ferme se prépare en amont », la vision de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme

Une ferme dans le Puy-de-Dôme, le 4 novembre 2022.

La chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme accompagne les agriculteurs, qui le souhaitent, à transmettre leur ferme. Des conseillers spécialisés aident les futurs retraités à préparer leur projet le plus tôt possible. Sur le terrain, le défi est de taille.

Olivier Lastiolas, conseiller transmission à la Chambre d’agriculture du département, le constate. « Un agriculteur propriétaire de 100 % de ses terres, ça n’existe pas dans le département. Et les parcelles en fermage (louées) sont le plus souvent disséminées sur une ou plusieurs communes. » Un chef d’exploitation doit convaincre ses propriétaires de lui faire confiance. Et, ça se prépare en amont. « C’est souvent le problème pour certains. Il n’y a pas eu d’anticipation pour la transmission de la ferme ».

Le maintien de l’unité foncière reste la principale difficulté

« Une connivence étroite doit s’instaurer entre le cédant et le repreneur pour éviter le “plan B” ». À savoir que le propriétaire vende au plus offrant. « S’y prendre le plus tôt possible augmente les chances, martèle le conseiller, afin que celui-ci se pose les bonnes questions pour préparer la reprise. »

Attaché à ce qu’il a construit sur ses terres, l’agriculteur cédant veut que sa ferme perdure

Philippe Voyer, conseiller à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme

Des stages de parrainage pour accompagner

« Attaché à ce qu’il a construit sur ses terres, l’agriculteur cédant veut que sa ferme perdure », souligne Philippe Voyer, conseiller transmission. C’est dans ce sens que des stages de parrainage sont mis en place par la chambre d’agriculture. D’une durée de douze à quinze mois, ils permettent au candidat qui souhaite s’installer de se tester sans obligation de reprise « une fois qu’un bon feeling est établi. » Mais également d’expérimenter l’environnement autour de la ferme. Se faire connaître et s’insérer dans le milieu.

Au travers du répertoire départ-installation, la chambre d’agriculture inscrit, chaque année, entre 40 et 50 exploitations. Et près de 230 cessations d’activités sont comptabilisées sur la même période. L’accompagnement des jeunes candidats à l’installation s’avère crucial pour le maintien des fermes puydômoises.

Espaces test agricole : “La phase de doux rêveur passe vite”

Benoît Montabut, 30 ans, jeune maraîcher en phase d’expérimentation sur l’espace test agricole de l’écopôle du Val d’Allier, le 26 octobre 2022.

À l’écopôle du Val d’Allier sur la commune de Pérignat-sur-Allier, Benoit Montabut, 30 ans, expérimente depuis deux ans, le métier de maraîcher. Le défi, pour lui, est de s’installer.

« Ça permet de savoir si l’on est vraiment prêt pour se lancer sans prendre trop de risque. »
Benoit Montabut, 30 ans, se teste. Pour lui qui n’est pas issu du milieu rural, devenir maraîcher n’a rien d’une lubie. « Ça fait au moins dix ans que je me renseigne et que je fais le jardin dans mon coin. »

Dispositifs pour faciliter la création d’entreprises agricoles, les espaces test sont conçus comme des tremplins pour s’installer en agriculture. Hébergement fiscal, juridique et social
opéré via une “couveuse” d’entreprise, des serres et un système d’irrigation financés, le jeune maraîcher se concentre sur sa production. En Auvergne, l’association îlots paysans propose depuis 2012 à des jeunes porteurs de projet de se tester (Voir encadré plus bas).

Benoît ramasse des choux avant de préparer des paniers de légumes pour la semaine prochaine, le 22 octobre 2022.
Derrière l’abri qui lui sert à entreposer ses légumes, les cagettes s’entassent, le 22 octobre 2022.

À l’entrée de sa parcelle, un petit espace aménagé lui permet de vendre ses paniers de légumes tous les mercredis après-midi. « Je rembourse mes graines et mes frais en tout genre, c’est déjà pas mal ». Benoît apprend.

À la recherche d’un terrain


Le « nerf de la guerre » vient après. Traduction : trouver un espace pour s’installer. « Les terres agricoles circulent peu, c’est une réalité. En particulier dans les bassins denses comme la métropole ou même à Issoire. » Ce sont les agriculteurs qui détiennent le foncier. Eux-mêmes savent où trouver des terres. « Aller vers eux, parler aux gens, expliquer son projet, c’est compliqué. C’est comme trouver un emploi », sourit-il. Même pour un petit hectare.

Les serres prêtées à Benoît dans un coin de la parcelle dédiée à l’espace test agricole, le 22 octobre 2022.

Après son expérience à l’écopôle, Benoit privilégie un emploi de salarié chez un maraîcher qu’il connaît pour « continuer à se faire la main ». Passé avant lui par le même espace test, un maraîcher « testeur » a réussi à s’installer dans le département et à développer son entreprise malgré les difficultés. Un espoir pour le jeune puydomois.

Ilots paysans accueille des fermes “test” en Auvergne

Né d’un projet collectif depuis 2012, Ilots paysans est une association qui promeut le développement rural et favorise les tests d’activité agricole en accompagnant des porteurs de projet qui souhaite se tester à échelle “réelle”. Pour cela, la structure met à disposition de foncier et du matériel en s’appuyant sur des agriculteurs et des collectivités locales prêtes à les accueillir.

Lorsqu’un porteur de projet souhaite entrer en test, il rencontre un accompagnateur qui lui permet de faire le point sur son projet et de vérifier avec lui si le test est bien le moyen approprié d’avancer. Si c’est le cas, on étudie avec lui le lieu qui correspondra le mieux à l’activité qu’il souhaite tester. Puis une convention est signée entre le porteur de projet, l’accueillant et la structure d’accompagnement“. Selon l’association, depuis sa création, ce sont 50 personnes qui ont pu être accompagnées.

« Les candidats ne se pressent pas au portillon » : la difficile transmission des éleveurs à l’aube de la retraite

Dans la nouvelle stabulation de la famille Bony, le 1er novembre 2022.

Près de 58 % des agriculteurs du Puy-de-Dôme ont plus de 50 ans. Comme dans le reste de la France, la question du renouvellement des générations se pose. Au Gaec des Mimosas, la famille Bony élève des vaches laitières depuis 1976. Les parents recherchent un nouvel associé pour envisager leur retraite. Sans succès jusqu’à présent.

Le soleil matinal perce les ouvertures du toit ondulé de la nouvelle stabulation de la famille Bony. Fourrage frais posé devant elles, les vaches ruminent. La porte métallique du bâtiment s’ouvre. Danielle, 61 ans, son mari, Christian, 65 ans, et leur fils Quentin, 29 ans, entrent pour surveiller si « tout se passe bien ». Les trois associés s’occupent de leurs 85 vaches laitières au « Bouchet » sur la commune d’Olby. Une histoire familiale.

Danielle Bony, 61 ans, espère que son fils pourra compter sur un associé pour reprendre l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

À 65 ans, Christian aimerait prendre sa retraite. Enfin. « J’ai continué pour aider Quentin. Et je m’étais dit qu’au pire, après avoir monté le nouveau bâtiment et le robot, je lèverai le pied. Voilà où j’en suis encore deux ans plus tard, toujours là. » Danielle aussi. Les Bony n’ont pas encore trouvé d’associé pour que Quentin puisse reprendre sereinement la ferme. Inscrit depuis sept ans au répertoire départ-installation de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, le Gaec des Mimosas n’attire pas. Une anticipation qui ne porte pas ses fruits.

Christian Bony, 65 ans, s’inquiète pour l’avenir, il aimerait prendre se retraite pour de bon, le 1er novembre 2022.

« On a eu des contacts, des visites, mais rien de concret. » En pourparlers depuis un an avec un « jeune du coin », le projet a été abandonné au grand regret de Christian. « Il a trouvé un boulot avec plus de temps libre, ça lui va mieux », soupire-t-il.

Pour Philippe Voyer, conseiller transmission de la chambre d’agriculture, qui accompagne des projets de reprise dans l’ouest du département, la réalité est dure à avaler. « Malgré des exploitations performantes et modernes, les candidats ne se pressent pas au portillon. »

Une retraite qui se fait attendre

Construite en 2020, la stabulation flambant neuve des Bony abrite, derrière l’étable, un « dairy robot R9500 GEA », robot de traite automatisé, qui permet aux brown swiss et aux prim’holstein de venir se faire traire en libre-service. « Elles sortent et rentrent comme elles veulent. » Un gain de temps et de confort indispensable. Surtout pour Christian qui s’occupe de la traite depuis plus de trente ans. « Ce n’était plus gérable, je me levais à 5 heures tous les jours et vu mon âge, ça commençait à être compliqué. Maintenant, je peux y aller à partir de 7 h 30, ça fait du bien. »

Le dairy robot R9500 GEA permet aux vaches de venir se faire traire de manière automatique, le 1er novembre 2022.

La création du Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) familial remonte à 1983. À l’époque, le troupeau n’atteignait pas plus de 25 vaches. « Avec mon frère, on arrivait à se libérer en juillet-août. Au moins trois semaines, chacun son tour. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ».

Installé depuis 2015 avec ses parents, suite au départ en retraite anticipé de son oncle, Quentin a le « goût de l’agriculture ». Pierre (l’oncle), lui, en a eu marre. « Je ne pensais pas qu’il s’intéresserait à la ferme et voudrait reprendre, en tout cas, je n’ai pas tout mis en œuvre pour que ça se fasse », et murmure que « s’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

À côté de lui, Quentin s’affirme. « Oui, mais non. J’ai toujours vécu dedans. C’était une évidence pour moi. » Christian reprend. « C’est vrai que quand on a travaillé toute une vie et qu’on voit que ça peut disparaître, ça fait plaisir, mais vu comment ça se passe, c’est beaucoup de contraintes pour peu de reconnaissance. »


« S’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

Christian, éleveur

Ne pas trouver de repreneur-associé inquiète la famille Bony. Un tel bâtiment équipé représente un investissement conséquent malgré les aides européennes et les aides à l’installation. Le Gaec familial a contracté un prêt important sur quinze ans. « Il y a des mensualités à rembourser avec un emprunt de plus de 500.000 € », détaille le père. Au-delà de la diminution du temps de travail, c’est aussi un pari sur l’avenir. « On pensait que ça serait plus attractif pour trouver un associé à Quentin mais peut-être que c’est l’inverse ». 

Quentin Bony, 29 ans, prend la suite de l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

La modernisation d’une ferme est une bonne chose pour Philippe Voyer, mais ça ne fait pas tout. « S’intégrer à une entreprise, qui a une histoire familiale forte, en tant qu’associé, pose des prérequis au-delà du résultat économique de l’exploitation. C’est un mariage professionnel qui doit s’opérer », explique Phillipe Voyer, conseiller à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. Le partage des responsabilités, l’entente sur les méthodes de travail et la gouvernance de la ferme sont en jeu. Dans le Puy-de-Dôme (comme ailleurs), « il y a un travail d’accompagnement à faire pour les jeunes », concède le conseiller. Le travail en commun n’est pas encore assez pris en compte. »

Un avenir incertain

Accoudé sur une botte de paille, Christian se rend à l’évidence. « C’est la dernière année pour moi. C’est sûr. Mais je ne veux pas le voir peiner (Quentin) donc je lui donnerai un coup de main ». À côté, Danielle, qui s’occupe des veaux et de l’administration, acquiesce. « Moi aussi. »

Attachés aux vaches, Quentin ne se voit pas se séparer de l’une d’entre-elles, le 1er novembre 2022.

« S’il n’y a personne qui vient, je ne vais pas pouvoir m’occuper de toutes les vaches. Et le souci, c’est le bâtiment à payer. Le prix du lait ne va pas aider », déplore Quentin. S’occuper du troupeau lui remplit déjà bien ses journées. Le jeune éleveur envisage, à contrecœur, de traiter avec une entreprise de travaux agricoles « pour faire les gros chantiers ». « Ça serait une solution », suggère-t-il. Prendre un salarié, il y réfléchit. Mais ce n’est pas pareil. « L’implication ne sera pas la même qu’avoir un associé. »

À deux, on peut partager les galères. On se remonte aussi le moral. « Être tout seul, ça doit trop peser. J’aimerais qu’il profite de sa vie », confie Danielle.


Une ferme sociale et solidaire à Gerzat

Ep 1/3. Maxime Villain : « L’idée est de faire revenir les gens à la terre »

Maxime Villain sur sa nouvelle parcelle en début du projet à Gerzat, le 28 janvier 2022.

Janvier 2022 | Dans le cadre de l’expérience « territoire zéro chômeur de longue durée » de la métropole clermontoise et le soutien du Secours populaire, Maxime Villain entreprend un chantier ambitieux. Créer une ferme maraîchère tout en créant de l’emploi. Nous l’avons suivi dans « son champ », à Gerzat.

Bonnet enfoncé sur la tête, sourire aux lèvres, Maxime Villain nous accueille sur place dans le brouillard matinal. 12.000 m² pour « faire pousser du légume ». En voilà une bonne idée. Aujourd’hui, avec Théo, bénévole au Secours populaire, ils clôturent le champ mis à disposition par la mairie de Gerzat (Puy-de-Dôme). « Pour empêcher les ragondins de passer et dissuader les curieux », explique le futur maraîcher.

Développer des initiatives utiles et créatrices d’emplois pour les personnes éloignées du marché du travail, tel est l’objectif visé par l’expérience « territoire zéro chômeur de longue durée » dans la métropole clermontoise. Maxime y croit.

Technicien agricole dans une entreprise spécialisée dans la sélection variétale de semences potagères, il démissionne. Le jeune homme aspirait à autre chose.

Après une expérience décevante de deux ans d’enseignement au lycée Marmilhat à Lempdes, un master en biologie végétale et un stage qui n’aboutit pas sur le poste convoité, c’est un projet à la fois personnel et collectif qui débute. Transmettre, c’est ce qui l’anime. « Enseigner dans un établissement, c’est bien, mais le terrain me manquait ». Le goût de la terre mêlé à une véritable envie d’être utile.

Le futur champ de la ferme maraîchère, le 28 janvier 2022.
Maxime Villain clôture le terrain qui abritera les planches de légumes, le 28 janvier 2022.

Des idées et des rotations culturales plein la tête, Maxime « prépare le terrain ». Un tas de compost posé en bordure de champ et des délimitations pour deux serres d’environ 480 m² sont déjà marquées au sol.

Un espace dédié aux semences et aux plants de narcisses et jacinthes, fraîchement semés par les enfants de l’initiative « Copains du monde » du Secours populaire, se trouve dans le fond. « Il ne manque plus que le puits qui doit être creusé rapidement ». L’objectif pour 2022 : produire 28 tonnes de légumes et embaucher six personnes à temps plein. « Il faut montrer que le bio n’est pas forcément plus cher ».

Pragmatique et conscient des réalités économiques, le technicien ne se ferme aucune porte pour diversifier l’activité. Des prestations de service pour d’autres agriculteurs en manque de main d’œuvre sont envisagées. Les premiers choux seront en terre en mars prochain si « tout va bien ».


Ep 2/3. La ferme sort de terre

Marije, Elza, Hamlet, Noorin et Maxime dans la serre de la ferme solidaire de Gerzat, le 20 juillet 2022.

Juillet 2022 | Commencé en janvier, le projet de ferme maraîchère du Secours populaire prend forme à Gerzat. En ce mois de juillet, les premiers légumes y poussent grâce au travail des bénévoles de l’association. Certains d’entre eux seront embauchés en octobre prochain.

Au fond du champ, accroupis dans la serre luxuriante où poussent des plants de tomates, des bras se faufilent dans les rangs. Les feuilles bougent. Cachés derrière les grandes tiges qui supportent les fruits verts en formation, Hamlet, Elza, Marije et Maxime élaguent. Plus loin, Noorin récupère les déchets végétaux dans une brouette.

Hamlet, bénévole au Secours populaire 63, élague les plants de tomates dans la serre de la ferme solidaire de Gerzat, le 20 juillet 2022.

« On éclaircit les plants. Il y en a partout. Ça évite la concurrence entre eux et la propagation des maladies », sourit ce dernier. Heureux. Le projet avance. Dans le tunnel, plus de six variétés de tomates différentes se côtoient. Des rondes, des côtelées, des jaunes, etc.

Un projet expérimental

Le chapeau a remplacé le bonnet. Il y a cinq mois, nous avions rencontré Maxime Villain, conseiller maraîchage du Secours populaire, en plein hiver, sur cette même parcelle. Le jeune homme avait alors en tête l’emplacement des deux futures serres et des cultures. Objectif : offrir des légumes variés et de bonne qualité aux personnes modestes, à des prix raisonnables. Un défi pour l’association. En plus, la ferme maraîchère doit permettre de créer des emplois durables dans la commune en lien avec le dispositif « territoire zéro chômeur de longue durée » soutenu par la Métropole clermontoise.

Maxime Villain à l’entrée de sa serre de tomates à Gerzat, le 20 juillet 2022.

Pour l’instant, ce sont des bénévoles, bénéficiaires ou non des activités de l’organisation, qui s’occupent des plants et des serres. Ils ne ménagent pas leurs efforts depuis 7 heures ce matin. « Même si certains peuvent avoir des difficultés avec le français, on s’entend sur le terrain. Il y a les gestes et les regards », ajoute Maxime. Les bénévoles présents sont tous volontaires. « Si ça devient une contrainte de venir, ce n’est pas la peine. » Ici, l’envie d’aider prime.

Maxime et Elza ramassent des légumes pour fournir l’épicerie du Secours populaire à Clermont-Ferrand, le 20 juillet 2022.

Dans le champ de 10.000 m², l’équipe de maraîchers « tournante » cultive la diversité. « J’ai mis des potimarrons, des butternuts et même un peu de maïs pop-corn », s’amuse Maxime. « C’est aussi l’idée de faire découvrir des légumes aux bénéficiaires. » Un regard vers les concombres. « Je n’en ai déjà plus. J’aurais dû en planter davantage. 125 kg sont partis lundi dernier », se réjouit le maraîcher.

Circuit-court

Les productions sont vendues à l’épicerie solidaire de l’association à Clermont-Ferrand et dans les marchés « pop » à bas prix : « 0,70 €/kg pour tous les légumes. Chez un maraîcher ou un détaillant, on est plus autour de 2,50 €/kg pour des poireaux bio par exemple. » Des partenariats commencent à fleurir avec la Coop des Dômes, Bio Auvergne et des maraîchers locaux. Des particuliers s’investissent pour faire des dons de plants. « Mon idée est de travailler avec tout le monde pour  pour faire avancer le projet ». 

Noorin apprend à poser des tuteurs sur les tomates, le 20 juillet 2022.

L’autonomie financière de la ferme passe par des activités diversifiées. Au-delà de la vente de légumes, des chantiers agricoles sont prévus. « J’ai déjà des demandes. Lorsque les salariés arriveront, que le tracteur sera là, on mettra en place cette activité petit à petit.» Maxime prévoit l’embauche de trois salariés à plein temps (des demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail) pour le maraîchage, d’ici octobre prochain. Trois personnes seront par ailleurs sollicitées pour faire vivre le comité local du Secours populaire de Gerzat. La contrainte est que ces derniers doivent habiter la commune. 

L’insertion économique reste une priorité. Noorin, 18 ans, a quitté le système scolaire l’année dernière. Avec l’aide de la Mission locale et de l’association, un service civique se profile pour elle. La jeune femme, qui s’occupe d’enfants dans les quartiers nord de Clermont-Ferrand, pense à un projet. Animer des rencontres d’éducation à l’alimentation dans le jardin maraîcher. Bonne idée.


Ep 3/3. Un premier contrat

Maxime et Maturafi discutent près de la serre principale de l’exploitation maraîchère à Gerzat, le 24 novembre 2022.

Novembre 2022 | Quatre anciens bénévoles de la ferme solidaire viennent de signer leur premier contrat pour développer les activités de la ferme maraîchère, renommée Jardins solidaires, à Gerzat. Un nouveau départ pour chacun d’entre eux.

Elza, Nurcan, Maturafi, et Martin ramassent les épinards dans la serre au fond de la parcelle. Leurs larges sourires montrent une certaine satisfaction en cette matinée de novembre.

« J’ai toujours aimé le contact avec les plantes. C’est un peu dur de rester accroupi, mais ça va, je m’y fais », sourit Martin Akaro, 51 ans. Après quelques cagettes remplies, Martin et ses nouveaux collègues reprennent le démontage du tunnel à l’entrée. « Il était placé dans une zone inondable, on va le mettre plutôt derrière ». Le travail ne manque pas dans l’entreprise à but d’emplois, nouvellement créée Jardins solidaires, initiée en janvier dernier par le Secours populaire.

S’engager à long terme

Passé par différentes formations à travers Cap Emploi, Martin s’est fait la main dans l’horticulture lors de différents stages successifs avec la mairie de Gerzat après un souci de santé en 2004. Sans succès pour trouver un travail jusqu’à présent. Aujourd’hui, c’est un soulagement. Il vient d’être embauché depuis deux semaines en contrat à durée indéterminée au sein de la jeune entreprise à but d’emploi.

Fin de journée. Elza pose ses chaussures sur un bout de carton, le 24 novembre 2022.

Alors qu’il déplace du matériel pour le déplacement de la serre, Maturafi Halifa, 56 ans, est ravi. Après plusieurs petits boulots en tant que magasinier, bibliothécaire ou encore employé de bureau, il retrouve le travail de la terre. « Ça m’avait manqué. J’ai retrouvé un métier que j’aime ». Avant de débarquer en métropole il y a vingt ans, l’homme a travaillé comme jardinier paysagiste à Mayotte.


« Ça m’avait manqué. J’ai retrouvé un métier que j’aime »

Maturafi Halifa, 56 ans, salarié

Discrète, son français reste encore approximatif. Elza, 37 ans, apprend. Arrivée en France en 2019 avec sa famille de Géorgie, elle est reconnaissante de l’aide qu’elle a reçue. Du Centre d’accueil pour demandeur d’asile (Cada) à un emploi en CDI. « J’aime être dehors et m’occuper du jardin ». Pour Nurcan, 43 ans, c’est un aboutissement. Après plusieurs chantiers agricoles aux alentours, elle travaille désormais à temps plein. « C’est un projet qui me plaît ».

Avant de terminer leur journée, ensemble, ils soulèvent la porte bâchée de la serre qu’ils souhaitent déplacer. « Allez, 3, 2, 1, c’est parti ».

« Je n’ai pas peur de travailler » : des élèves dans le sillon de leur parents au lycée Rochefort-Montagne

En terminale au lycée agricole de Rochefort-Montagne, de futurs éleveurs se forment. La majorité d’entre eux, issus du monde agricole, veulent reprendre le flambeau familial. 

Paul, 17 ans, élève au lycée Rochefort Montagne, le 12 avril 2022. Ses parents ont un élevage de Salers dans le Cantal.

« Ce que j’aime, c’est le matériel, l’entretien des équipements et donner à manger aux bêtes ». Lucas, assis à l’arrière du Duster ne tergiverse pas. « Pareil pour moi et la traite aussi », ajoute Nicolas à côté de lui. Les deux élèves de terminale CGEA (Conduite et gestion de l’entreprise agricole) au lycée de Rochefort-Montagne dans le Puy-de-Dôme se rendent au chantier de la semaine. « Les autres sont dans le minibus, il n’y avait pas assez de place », explique Alice, responsable de l’exploitation de l’établissement, derrière le volant du 4×4. Cet après-midi, les terminales viennent en renfort des « petits de seconde » pour clôturer une parcelle qui accueillera les 250 brebis de la ferme du lycée.

« Mes parents ont une centaine de vaches laitières à Briffons. Avec mon frère, on va rejoindre le GAEC – Groupement agricole d’exploitation en commun ». À 18 ans, Lucas a déjà son projet en tête. La charge de travail et les contraintes liées au métier ne l’effraient pas. Il les connaît déjà. « On ne fait pas ça pour l’argent, sinon on fait autre chose », commente-t-il d’un ton assuré en regardant la route de campagne défiler.

Des destins tout tracés

Arrivés sur place, les élèves s’éparpillent. Ravis d’être sortis de la salle de classe qu’ils ne supportent pas vraiment. Enfin dans « leur » environnement. Fanny et Gabrielle, 18 ans chacune, s’affairent à remonter les isolateurs pour placer le grillage sur les poteaux en bois. « Les isolateurs servent à faire passer le courant seulement dans les fils et pas dans le piquet », explique Fanny. Originaire de Bongheat, « entre Thiers et Courpière », ses parents possèdent une exploitation de vaches laitières et allaitantes. Son avenir est aussi tout tracé.


« Je sais que je n’irai pas faire les personnes âgées, je suis trop attachée aux vaches. On a grandi dedans avec mes frères. Je n’y laisserai pas, c’est dans mes racines.  »

Fanny, élève en terminale au lycée Rochefort-Montagne

Intéressée par la transformation, Fanny aimerait créer un atelier pour vendre des produits laitiers : fromages, beurre et crème. « C’est super important de se diversifier ». La jeune femme envisage une formation supplémentaire à Aurillac (Cantal) ou dans une laiterie après le bac. Peu importe. « C’est mon frère qui m’a inscrite à Rochefort pour que je découvre d’abord l’animal ».

Depuis les années 2000, le niveau de formation des chefs d’exploitation n’a pas cessé de croître en France comme le soulèvent François Purseigle et Bertrand Hervieu dans leur ouvrage Sociologie des mondes agricoles (Armand Colin, 2013). En 2010, 17 % d’entre eux avaient un diplôme d’études supérieures. Ils n’étaient que 11 % en 2000.

Fanny et Gabrielle, 18 ans, font partie des quatre filles sur les douze élèves en terminale. « Certains exploitants ont encore du mal à prendre en stage des filles », confie Gabrielle. En France, seule une exploitation sur quatre est dirigée par une femme.
Concours de bottes entre Paul et Lucas, le 12 avril 2022.

En parallèle de leur scolarité, certains aident chez eux, d’autres sont salariés d’une exploitation pour gagner en expérience. Le mercredi après-midi et les week-ends, les sorties se résument souvent à donner des coups de main. Pas de répit. « Je me rends compte que le lycée est un peu leur défouloir », confie Amandine, surveillante arrivée dans l’établissement il y a quelques mois. Beaucoup ne partent pas en vacances. Fils, filles ou famille proche d’éleveurs, ces jeunes ne se voient pas faire autre chose. L’agriculture figure parmi les univers professionnels où la transmission intrafamiliale est la plus forte, en particulier l’élevage.

Gabrielle, elle, ne veut pas reprendre la ferme familiale en l’état. Trop grande pour elle toute seule. Trop dur aussi. Elle rêve d’avoir une petite exploitation à taille humaine. « Je ne sais pas encore trop, mais quatre ou cinq vaches laitières et une quarantaine de chèvres ». Avant de s’afférer à planter un piquet, Fanny demande : « Tu prendras des montbéliardes dans tes quatre cinq vaches ? »

François Purseigle : “On assiste à une banalisation du métier d’agriculteur”

Un champ de tournesol dans le Puy-de-Dôme, septembre 2021.

L’agriculture française se transforme. Dans son dernier ouvrage co-écrit avec Bertrand Hervieu, « une agriculture sans agriculteurs », François Purseigle, sociologue, explique que la diminution du nombre d’agriculteurs s’accompagne d’une mutation des fermes familiales. Explications.

«On est déjà dans le mur. D’ici 2030, ce sont 200.000 chefs d’exploitations agricoles qui auront l’âge de partir à la retraite ». Le constat est posé par François Purseigle, sociologue et professeur à l’Institut national polytechnique de Toulouse. La crise climatique et énergétique risque, de surcroît, de précipiter certains départs. Pour le spécialiste des mondes agricoles, une recomposition du métier d’agriculteur est en cours en France et le renouvellement des générations, un vœu pieux.

Quelles sont les conséquences de cette diminution de la population agricole ?

Il y a un paradoxe. Normalement, lorsqu’une population s’amenuise, l’homogénéisation de celle-ci s’observe en sociologie. Pour le monde agricole, on constate tout l’inverse. Aujourd’hui, on assiste à une fragmentation des projets entrepreneuriaux portés par les chefs d’exploitation. En particulier, entre ceux qui reprennent et ceux qui travaillent la terre depuis des décennies. Il y a à la fois des projets de type commerciaux, patrimoniaux et industriels qui composent le paysage.

L’agriculture prend un autre visage que le chef d’exploitation que l’on connaît. Derrière le mot agriculteur, les réalités sont de plus en plus disparates : il y a des chefs d’exploitation qui ressemblent davantage à des patrons de PME voire à de grandes entreprises qu’à des patrons d’entreprises familiales où la main-d’œuvre est essentiellement familiale. Cela invalide l’usage du singulier lorsqu’on parle des agriculteurs.

L’agriculture française reste tout de même encore familiale…

Oui, bien sûr. Elle le reste pour des raisons capitalistiques, mais ce ne sont pas les mêmes raisons qu’autrefois. Le renouvellement se faisait au sein de la famille. Ce qu’on constate, c’est que le chef d’exploitation est aujourd’hui, seul ou avec un ou plusieurs salariés, ou même sous-traite une part importante de son activité. On assiste à une banalisation du métier.

Qu’entendez-vous par banalisation ?

Je parle des conditions d’accès. On constate que ce ne sont plus systématiquement les enfants d’agriculteurs qui reprennent. Et quand bien même ça le serait, ils le font à leur façon. Ils ne reprennent pas le projet à l’identique avec les mêmes aspirations que leurs parents. Pour la plupart, ils n’ont pas envie que l’entreprise agricole se confonde avec le projet de vie ou même patrimonial. C’est ce qui fait que certains enfants d’agriculteurs ne se maintiennent pas.

François Purseigle, sociologue des mondes agricoles à l’université de Toulouse. Photo DR

“L’agriculture française reste familiale mais ce ne sont pas pour les mêmes raisons qu’autrefois. Elle le reste pour des raisons capitalistiques.”

François Purseigle

L’accès au foncier est-il un obstacle à l’installation ?

Oui dans une certaine mesure, mais je pense qu’on se met le doigt dans l’œil en se focalisant sur ce point. Il faut comprendre que c’est surtout l’inadéquation entre l’offre et la demande (le cédant et le repreneur) qui est prédominante dans la question de l’installation. Ce n’est pas l’investisseur chinois dans l’Allier qui rachète 1.000 hectares qui fait que personne ne peut s’installer dans ce département. Ce sont les familles agricoles en premier lieu qui sont les adversaires de l’exploitation familiale. Les successeurs ne veulent pas s’asseoir sur leur patrimoine ou l’agrandissement des structures est privilégié… Par ailleurs, les exploitations libérées sont souvent de taille moyenne et ne correspondent pas à ce que recherchent les nouveaux porteurs de projet.

Il sera difficile dans ce contexte de renouveler les générations...

Ne soyons pas naïfs. Je pense que nous n’y parviendrons pas. Par contre, il faut faire en sorte que nous ayons un renouvellement des actifs en agriculture et qu’on maintienne la capacité de production des exploitations. Cela ne sert à rien qu’un entrant reste seulement cinq ans.

Le déficit de vocation reste aussi un écueil ?

C’est clair que malgré des aspirations différentes entre la vie familiale et la vie professionnelle, l’activité agricole fait l’objet de contraintes fortes auxquelles on n’a pas forcément envie de se soumettre. Ça reste un métier synonyme de dépendance… Déjà à l’égard de la banque. C’est une réalité.

Une Agriculture sans agriculteurs, François Purseigne, Betrand Hervieu, Les Presses SciencesPo, septembre 2022, 16 euros.

La France se vit toujours comme un pays de petites et moyennes exploitations agricoles autonomes. Ce modèle, voulu de longue date et renforcé durant la période de modernisation de l’après-guerre, vole en éclats, laissant place à des formes nouvelles et très diverses d’organisation du travail et du capital agricoles. La figure du couple exploitant ses terres, l’osmose totale entre vie au travail et vie familiale, l’idée d’une immuable unicité paysanne, sont en train de s’effacer. À ces mutations souvent douloureuses s’ajoutent l’effondrement démographique de ce milieu professionnel, la fragilisation de sa place et de son image au sein de la société française, les inquiétudes environnementales.