« Les candidats ne se pressent pas au portillon » : la difficile transmission des éleveurs à l’aube de la retraite

Dans la nouvelle stabulation de la famille Bony, le 1er novembre 2022.

Près de 58 % des agriculteurs du Puy-de-Dôme ont plus de 50 ans. Comme dans le reste de la France, la question du renouvellement des générations se pose. Au Gaec des Mimosas, la famille Bony élève des vaches laitières depuis 1976. Les parents recherchent un nouvel associé pour envisager leur retraite. Sans succès jusqu’à présent.

Le soleil matinal perce les ouvertures du toit ondulé de la nouvelle stabulation de la famille Bony. Fourrage frais posé devant elles, les vaches ruminent. La porte métallique du bâtiment s’ouvre. Danielle, 61 ans, son mari, Christian, 65 ans, et leur fils Quentin, 29 ans, entrent pour surveiller si « tout se passe bien ». Les trois associés s’occupent de leurs 85 vaches laitières au « Bouchet » sur la commune d’Olby. Une histoire familiale.

Danielle Bony, 61 ans, espère que son fils pourra compter sur un associé pour reprendre l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

À 65 ans, Christian aimerait prendre sa retraite. Enfin. « J’ai continué pour aider Quentin. Et je m’étais dit qu’au pire, après avoir monté le nouveau bâtiment et le robot, je lèverai le pied. Voilà où j’en suis encore deux ans plus tard, toujours là. » Danielle aussi. Les Bony n’ont pas encore trouvé d’associé pour que Quentin puisse reprendre sereinement la ferme. Inscrit depuis sept ans au répertoire départ-installation de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, le Gaec des Mimosas n’attire pas. Une anticipation qui ne porte pas ses fruits.

Christian Bony, 65 ans, s’inquiète pour l’avenir, il aimerait prendre se retraite pour de bon, le 1er novembre 2022.

« On a eu des contacts, des visites, mais rien de concret. » En pourparlers depuis un an avec un « jeune du coin », le projet a été abandonné au grand regret de Christian. « Il a trouvé un boulot avec plus de temps libre, ça lui va mieux », soupire-t-il.

Pour Philippe Voyer, conseiller transmission de la chambre d’agriculture, qui accompagne des projets de reprise dans l’ouest du département, la réalité est dure à avaler. « Malgré des exploitations performantes et modernes, les candidats ne se pressent pas au portillon. »

Une retraite qui se fait attendre

Construite en 2020, la stabulation flambant neuve des Bony abrite, derrière l’étable, un « dairy robot R9500 GEA », robot de traite automatisé, qui permet aux brown swiss et aux prim’holstein de venir se faire traire en libre-service. « Elles sortent et rentrent comme elles veulent. » Un gain de temps et de confort indispensable. Surtout pour Christian qui s’occupe de la traite depuis plus de trente ans. « Ce n’était plus gérable, je me levais à 5 heures tous les jours et vu mon âge, ça commençait à être compliqué. Maintenant, je peux y aller à partir de 7 h 30, ça fait du bien. »

Le dairy robot R9500 GEA permet aux vaches de venir se faire traire de manière automatique, le 1er novembre 2022.

La création du Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) familial remonte à 1983. À l’époque, le troupeau n’atteignait pas plus de 25 vaches. « Avec mon frère, on arrivait à se libérer en juillet-août. Au moins trois semaines, chacun son tour. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ».

Installé depuis 2015 avec ses parents, suite au départ en retraite anticipé de son oncle, Quentin a le « goût de l’agriculture ». Pierre (l’oncle), lui, en a eu marre. « Je ne pensais pas qu’il s’intéresserait à la ferme et voudrait reprendre, en tout cas, je n’ai pas tout mis en œuvre pour que ça se fasse », et murmure que « s’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

À côté de lui, Quentin s’affirme. « Oui, mais non. J’ai toujours vécu dedans. C’était une évidence pour moi. » Christian reprend. « C’est vrai que quand on a travaillé toute une vie et qu’on voit que ça peut disparaître, ça fait plaisir, mais vu comment ça se passe, c’est beaucoup de contraintes pour peu de reconnaissance. »


« S’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

Christian, éleveur

Ne pas trouver de repreneur-associé inquiète la famille Bony. Un tel bâtiment équipé représente un investissement conséquent malgré les aides européennes et les aides à l’installation. Le Gaec familial a contracté un prêt important sur quinze ans. « Il y a des mensualités à rembourser avec un emprunt de plus de 500.000 € », détaille le père. Au-delà de la diminution du temps de travail, c’est aussi un pari sur l’avenir. « On pensait que ça serait plus attractif pour trouver un associé à Quentin mais peut-être que c’est l’inverse ». 

Quentin Bony, 29 ans, prend la suite de l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

La modernisation d’une ferme est une bonne chose pour Philippe Voyer, mais ça ne fait pas tout. « S’intégrer à une entreprise, qui a une histoire familiale forte, en tant qu’associé, pose des prérequis au-delà du résultat économique de l’exploitation. C’est un mariage professionnel qui doit s’opérer », explique Phillipe Voyer, conseiller à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. Le partage des responsabilités, l’entente sur les méthodes de travail et la gouvernance de la ferme sont en jeu. Dans le Puy-de-Dôme (comme ailleurs), « il y a un travail d’accompagnement à faire pour les jeunes », concède le conseiller. Le travail en commun n’est pas encore assez pris en compte. »

Un avenir incertain

Accoudé sur une botte de paille, Christian se rend à l’évidence. « C’est la dernière année pour moi. C’est sûr. Mais je ne veux pas le voir peiner (Quentin) donc je lui donnerai un coup de main ». À côté, Danielle, qui s’occupe des veaux et de l’administration, acquiesce. « Moi aussi. »

Attachés aux vaches, Quentin ne se voit pas se séparer de l’une d’entre-elles, le 1er novembre 2022.

« S’il n’y a personne qui vient, je ne vais pas pouvoir m’occuper de toutes les vaches. Et le souci, c’est le bâtiment à payer. Le prix du lait ne va pas aider », déplore Quentin. S’occuper du troupeau lui remplit déjà bien ses journées. Le jeune éleveur envisage, à contrecœur, de traiter avec une entreprise de travaux agricoles « pour faire les gros chantiers ». « Ça serait une solution », suggère-t-il. Prendre un salarié, il y réfléchit. Mais ce n’est pas pareil. « L’implication ne sera pas la même qu’avoir un associé. »

À deux, on peut partager les galères. On se remonte aussi le moral. « Être tout seul, ça doit trop peser. J’aimerais qu’il profite de sa vie », confie Danielle.


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