À Beaumont-lès-Randan, Laetitia Bourdier a repris l’exploitation familiale pour élever des chèvres et faire du fromage. Un projet qui fait renaître la ferme familiale, longtemps condamnée à sa perte.
Le bêlement des chèvres s’entend depuis la petite route qui mène à la fromagerie, les Ti’fromages, sur les hauteurs du hameau de La Garde. À l’intérieur, une quarantaine de « biquettes » s’éparpillent dans l’enclos tapissé de foin au sol. A côté, l’atelier de transformation et la chambre froide attendent la prochaine traite matinale. « Et voilà ! », lance Laetitia Bourdier, le sourire aux lèvres. La jeune femme de 28 ans s’est installée à son compte pour confectionner des fromages de chèvre sur la commune de Beaumont-les-Randan.
Sa jeune entreprise fait renaître la ferme familiale depuis deux ans. Pourtant, son père n’aurait jamais imaginé qu’un de ses enfants (Laetitia a aussi un frère) reprenne cette exploitation, synonyme, pour lui, de calvaire.
Une reprise inattendue
C’était dans les années 2000 se souvient Pascal Bourdier. « Ça a mal tourné… », admet-il, tête baissée. Les dettes ont commencé à s’accumuler. Le père de Laetitia élevait des poulets et faisait des céréales. « J’étais tout seul et je courais partout, rien n’allait », continue-t-il. Le prix des volailles et le marché des céréales se cassait la gueule ». Qu’est-ce qu’il pouvait y faire ? Une période compliquée s’en est suivie avec un redressement judiciaire de plus de quinze ans. « J’ai même dû prendre un travail de chauffeur à côté, j’étais double actif ».
En dépression, Pascal n’a pas supporté la situation. En 2006, après une tentative de suicide, il est hospitalisé et ne peut plus travailler. Le « trou noir » s’est poursuivi jusqu’en 2014 lorsqu’il décide de faire appel à l’association Solidarité paysans. Cette dernière apporte un soutien psychologique et accompagne les agriculteurs en difficulté. L’objectif était de restructurer l’exploitation pour faire des économies. « On a cherché ce qui n’allait pas. Mais rien ne clochait vraiment, les conditions du marché faisaient que ce n’était plus rentable ». Assise sur la chaise dans la cuisine, Laetitia réécoute l’histoire de son père, émue. « Il y avait des choses que je ne savais pas ».
« Mais pourquoi tu veux faire ça tu es folle ! »
En 2018, après plusieurs expériences, Laetitia n’a pas encore trouvé sa voie. « Je voulais travailler avec les animaux », confie-t-elle. Après une formation de technicienne agricole et un stage chez un chevrier, le déclic arrive et elle souhaite s’installer. Lorsqu’elle en parle à son père, l’enthousiasme est pour le moins absent. La jeune femme se souvient : « Il m’a dit texto : Mais pourquoi tu veux faire ça, t’es folle ! ». Le débat n’avait pas lieu d’être cette année-là. « Je me disais qu’elle allait se faire chier comme moi ».
Après plusieurs visites dans l’exploitation de Christian – le maître de stage de Laetitia lors de son apprentissage, « j’ai compris », explique Pascal. Ce qui m’a marqué c’est la passion qu’elle avait avec les chèvres ». Et puis, l’installation de sa fille ne s’est pas faite dans les mêmes conditions que lui. Moins de matériel, d’investissements, et « d’emmerdes » avec les céréales. « Je ne suis pas matérialiste, mais j’avais tiré jusqu’au bout pour m’en sortir. Il y a une certaine fierté qu’elle reprenne quelque chose derrière ».
Après trois ans d’activité et le passage du Covid, Laetitia se sort un salaire de 650 euros par mois… « Heureusement, qu’il y a mon compagnon », avoue-t-elle. Le but serait de pouvoir en vivre. Pascal change de sujet. « Ça fait combien de temps que tu n’as pas vu Christian ? Comment va-t-il ? Je l’aime bien. »