Sur les hauteurs de Chalus dans le sud du département, Claire Freist et Edoardo Veltroni démarrent le projet de leur vie. Devenir vignerons indépendants. Après avoir écumé les domaines de l’hexagone en tant que saisonniers, le couple a trouvé son bonheur au cœur des coteaux auvergnats.
« C’est la machine qui va commander la pompe. Il m’a dit que c’était très bien comme système. Par contre, il n’y a pas besoin d’un très gros compresseur. Une Liverani ça suffit ». Au téléphone avec son interlocuteur, Edoardo Veltroni, 31 ans, possède un accent italien distinctif. Devant le hangar, bardé en bois, qui entrepose le matériel de leur « petit domaine » à Chalus, l’ingénieur agronome, désormais vigneron, originaire de l’île d’Elbe (Italie), prépare la mise en bouteille de sa première cuvée prévue en juin prochain. Le fruit d’un travail commencé il y a plus de deux ans.
«Trouver du terrain, ce n’était pas gagné d’avance », se souvient Claire Freist, 30 ans, en descendant d’une Jeep kaki de l’armée américaine. « Elle était à mon père. Je ne sais plus où il avait acheté ça, mais dans la pente des parcelles, c’est bien pratique », avoue-t-elle. Sur les contreforts du village auvergnat perché sur un éperon basaltique, le couple est propriétaire de cinq hectares de vignes, une partie en AOP côtes-d’auvergne.
Une recherche qui porte ses fruits
« Il faut demander, pousser des portes, se faire connaître, être à l’affût ». Selon la légende, c’est en buvant une bouteille de château Chalus avec « un mec » de la Safer (*) que les deux prétendants ont pu repérer l’affaire. Cantalienne sur les bords, la technicienne œnologue connaît la région. « Ça a peut-être aidé, mais je ne crois pas. Quand on n’est pas local, il y a un peu de travail à faire. C’est du bouche-à-oreille ». Sous la protection de l’imposant château médiéval, leur parcelle de chardonnay, exposée plein est, domine la Limagne du Lembron à 550 mètres d’altitude. « On est quand même pas mal ici », sourit Claire qui jette un œil au panorama.
Passionnés, les deux techniciens se rencontrent en Bourgogne dans le milieu viticole. « J’ai saoulé les Bourguignons avec les vins d’Auvergne », rigole Claire. Avec leur expérience et leurs connaissances acquises au gré des domaines, ils « développent » aujourd’hui leur vin. À savoir, travailler de la récolte à la vinification et ainsi avoir la main sur l’entièreté du procédé.
L’ancien propriétaire vendait ses raisins à la cave coopérative Desprat-Saint Verny qui produit presque la moitié de l’appellation côtes-d’auvergne. Un changement de pratique assumé. « On est en deuxième année de conversion bio et en biodynamie ». Entre les allées des ceps de vigne, de « l’engrais vert » pousse. Petits pois, trèfles, etc. Ils testent différentes espèces végétales pour fixer l’azote dans le sol. « Et pourquoi ne pas faire venir des moutons aussi ? »
Au volant, Claire pointe une parcelle encore vierge, toute juste labourée. « Là, on mettrait bien une rangée d’arbres à côté d’un syrah ». Trois hectares d’achat supplémentaires sont en projet. Les deux vignerons sont bourrés d’idées et d’ambition pour l’avenir. « Avec huit hectares et demi, ça serait l’idéal pour bien travailler à deux », pense Claire. Edoardo acquiesce. Financièrement, « il faut un peu serrer les dents la première année. Même la deuxième ».
La dotation jeune agriculteur (DJA), une aide pour une première installation en tant que chef d’exploitation, leur a permis d’investir. « La pression est tout de même un peu là. Par rapport à notre business plan de départ, ça a bien augmenté », assure Claire en pointant Edoardo du regard dans le rétroviseur. « Le prix des bouteilles en verre ».
Retour aux fondamentaux lorsque la jeep s’arrête en haut de la parcelle de pinot. Situé sur un versant sud et un sol « volcanique », ce sera un vin fort, pas de doute. « C’est caractériel, plus animal. Tourbé », note la spécialiste. « La diversité des sols en Auvergne est vraiment intéressante. Il y a du potentiel ».
Dans leur cave, au sous-sol de la bâtisse qu’ils louent, les premiers breuvages patientent dans des fûts de chêne. Au total, les jeunes vignerons préparent pas moins de 17.000 bouteilles. Pour des clients auvergnats, mais surtout pour l’exportation. Le couple n’a pas encore trouvé la signature de son vin ni l’étiquette à coller. C’est pour bientôt.
(*) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, elle permet l’installation de porteurs de projet en milieu rural en France.
Qu’est-ce que la biodynamie ?
Au printemps et à l’automne, les deux vignerons incorporent, près de leurs ceps, des préparations issues de l’agriculture biodynamique.
L’idée est de “donner des impulsions à la plante”. Claire y croit. La biodynamie part du principe que chaque être vivant suit sa propre évolution et est géré par un processus énergétique qu’il convient d’amplifier. En complément des pratiques agronomiques de base en agriculture biologique comme l’intégration de légumineuses et d’engrais verts, entre les rangs, les deux vignerons veulent “stimuler la vigne face aux agressions fongiques” et “réintroduire de la vitalité” dans le sol.
Alors, à base de bouse de corne, obtenue par fermentation de bouse de vache introduite dans une corne dans le sol, bien conservée, ils pulvérisent la préparation en complément de silice. “100 g par hectare”. Des décoctions sont aussi préparées dans un dynamiseur. “On va chercher l’eau de source au village dans un bidon. Les gens se demandent peut-être ce qu’on fait. Mais on n’est pas des sorciers”, sourit-elle. Une chose est sûre, le vin d’Edoardo et Claire sera certifié biodynamique.