« On n’est pas des sorciers » : de jeunes vignerons s’installent sur les coteaux auvergnats

Claire Freist et Edoardo Veltroni dans leur parcelle de pinot noir, le 30 mars 2023.

Sur les hauteurs de Chalus dans le sud du département, Claire Freist et Edoardo Veltroni démarrent le projet de leur vie. Devenir vignerons indépendants. Après avoir écumé les domaines de l’hexagone en tant que saisonniers, le couple a trouvé son bonheur au cœur des coteaux auvergnats.

« C’est la machine qui va commander la pompe. Il m’a dit que c’était très bien comme système. Par contre, il n’y a pas besoin d’un très gros compresseur. Une Liverani ça suffit ». Au téléphone avec son interlocuteur, Edoardo Veltroni, 31 ans, possède un accent italien distinctif. Devant le hangar, bardé en bois, qui entrepose le matériel de leur « petit domaine »  à Chalus, l’ingénieur agronome, désormais vigneron, originaire de l’île d’Elbe (Italie), prépare la mise en bouteille de sa première cuvée prévue en juin prochain. Le fruit d’un travail commencé il y a plus de deux ans.

La parcelle de pinot noir du couple sous le soleil alors que les nuages menacent sur plaine du Lembron, le 30 mars 2023.

«Trouver du terrain, ce n’était pas gagné d’avance », se souvient Claire Freist, 30 ans, en descendant d’une Jeep kaki de l’armée américaine. « Elle était à mon père. Je ne sais plus où il avait acheté ça, mais dans la pente des parcelles, c’est bien pratique », avoue-t-elle. Sur les contreforts du village auvergnat perché sur un éperon basaltique, le couple est propriétaire de cinq hectares de vignes, une partie en AOP côtes-d’auvergne.

Une recherche qui porte ses fruits

« Il faut demander, pousser des portes, se faire connaître, être à l’affût ». Selon la légende, c’est en buvant une bouteille de château Chalus avec « un mec » de la Safer (*) que les deux prétendants ont pu repérer l’affaire. Cantalienne sur les bords, la technicienne œnologue connaît la région. « Ça a peut-être aidé, mais je ne crois pas. Quand on n’est pas local, il y a un peu de travail à faire. C’est du bouche-à-oreille ». Sous la protection de l’imposant château médiéval, leur parcelle de chardonnay, exposée plein est, domine la Limagne du Lembron à 550 mètres d’altitude. « On est quand même pas mal ici », sourit Claire qui jette un œil au panorama.

Claire admire la vue sur les vignes au volant de sa jeep, le 30 mars 2023.

Passionnés, les deux techniciens se rencontrent en Bourgogne dans le milieu viticole. « J’ai saoulé les Bourguignons avec les vins d’Auvergne », rigole Claire. Avec leur expérience et leurs connaissances acquises au gré des domaines, ils « développent » aujourd’hui leur vin. À savoir, travailler de la récolte à la vinification et ainsi avoir la main sur l’entièreté du procédé.

L’ancien propriétaire vendait ses raisins à la cave coopérative Desprat-Saint Verny qui produit presque la moitié de l’appellation côtes-d’auvergne. Un changement de pratique assumé. « On est en deuxième année de conversion bio et en biodynamie ». Entre les allées des ceps de vigne, de « l’engrais vert » pousse. Petits pois, trèfles, etc. Ils testent différentes espèces végétales pour fixer l’azote dans le sol. « Et pourquoi ne pas faire venir des moutons aussi ? » 

Au volant, Claire pointe une parcelle encore vierge, toute juste labourée. « Là, on mettrait bien une rangée d’arbres à côté d’un syrah ». Trois hectares d’achat supplémentaires sont en projet. Les deux vignerons sont bourrés d’idées et d’ambition pour l’avenir. « Avec huit hectares et demi, ça serait l’idéal pour bien travailler à deux », pense Claire. Edoardo acquiesce. Financièrement, « il faut un peu serrer les dents la première année. Même la deuxième ».

Roche basaltique, caractéristique des puys auvergnats qui sont d’anciens volcans, le 30 mars 2023.

La dotation jeune agriculteur (DJA), une aide pour une première installation en tant que chef d’exploitation, leur a permis d’investir. « La pression est tout de même un peu là. Par rapport à notre business plan de départ, ça a bien augmenté », assure Claire en pointant Edoardo du regard dans le rétroviseur. « Le prix des bouteilles en verre ».

Retour aux fondamentaux lorsque la jeep s’arrête en haut de la parcelle de pinot. Situé sur un versant sud et un sol « volcanique », ce sera un vin fort, pas de doute. « C’est caractériel, plus animal. Tourbé », note la spécialiste. « La diversité des sols en Auvergne est vraiment intéressante. Il y a du potentiel ».

Dans le sous-sol de leur maison, les deux vignerons surveillent leur première cuvée, le 30 mars 2023.

Dans leur cave, au sous-sol de la bâtisse qu’ils louent, les premiers breuvages patientent dans des fûts de chêne. Au total, les jeunes vignerons préparent pas moins de 17.000 bouteilles. Pour des clients auvergnats, mais surtout pour l’exportation. Le couple n’a pas encore trouvé la signature de son vin ni l’étiquette à coller. C’est pour bientôt.

(*) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, elle permet l’installation de porteurs de projet en milieu rural en France.

Qu’est-ce que la biodynamie ?

Au printemps et à l’automne, les deux vignerons incorporent, près de leurs ceps, des préparations issues de l’agriculture biodynamique.


L’idée est de “donner des impulsions à la plante”. Claire y croit. La biodynamie part du principe que chaque être vivant suit sa propre évolution et est géré par un processus énergétique qu’il convient d’amplifier. En complément des pratiques agronomiques de base en agriculture biologique comme l’intégration de légumineuses et d’engrais verts, entre les rangs, les deux vignerons veulent “stimuler la vigne face aux agressions fongiques” et “réintroduire de la vitalité” dans le sol.

Alors, à base de bouse de corne, obtenue par fermentation de bouse de vache introduite dans une corne dans le sol, bien conservée, ils pulvérisent la préparation en complément de silice. “100 g par hectare”. Des décoctions sont aussi préparées dans un dynamiseur. “On va chercher l’eau de source au village dans un bidon. Les gens se demandent peut-être ce qu’on fait. Mais on n’est pas des sorciers”, sourit-elle. Une chose est sûre, le vin d’Edoardo et Claire sera certifié biodynamique.

« Les candidats ne se pressent pas au portillon » : la difficile transmission des éleveurs à l’aube de la retraite

Dans la nouvelle stabulation de la famille Bony, le 1er novembre 2022.

Près de 58 % des agriculteurs du Puy-de-Dôme ont plus de 50 ans. Comme dans le reste de la France, la question du renouvellement des générations se pose. Au Gaec des Mimosas, la famille Bony élève des vaches laitières depuis 1976. Les parents recherchent un nouvel associé pour envisager leur retraite. Sans succès jusqu’à présent.

Le soleil matinal perce les ouvertures du toit ondulé de la nouvelle stabulation de la famille Bony. Fourrage frais posé devant elles, les vaches ruminent. La porte métallique du bâtiment s’ouvre. Danielle, 61 ans, son mari, Christian, 65 ans, et leur fils Quentin, 29 ans, entrent pour surveiller si « tout se passe bien ». Les trois associés s’occupent de leurs 85 vaches laitières au « Bouchet » sur la commune d’Olby. Une histoire familiale.

Danielle Bony, 61 ans, espère que son fils pourra compter sur un associé pour reprendre l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

À 65 ans, Christian aimerait prendre sa retraite. Enfin. « J’ai continué pour aider Quentin. Et je m’étais dit qu’au pire, après avoir monté le nouveau bâtiment et le robot, je lèverai le pied. Voilà où j’en suis encore deux ans plus tard, toujours là. » Danielle aussi. Les Bony n’ont pas encore trouvé d’associé pour que Quentin puisse reprendre sereinement la ferme. Inscrit depuis sept ans au répertoire départ-installation de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme, le Gaec des Mimosas n’attire pas. Une anticipation qui ne porte pas ses fruits.

Christian Bony, 65 ans, s’inquiète pour l’avenir, il aimerait prendre se retraite pour de bon, le 1er novembre 2022.

« On a eu des contacts, des visites, mais rien de concret. » En pourparlers depuis un an avec un « jeune du coin », le projet a été abandonné au grand regret de Christian. « Il a trouvé un boulot avec plus de temps libre, ça lui va mieux », soupire-t-il.

Pour Philippe Voyer, conseiller transmission de la chambre d’agriculture, qui accompagne des projets de reprise dans l’ouest du département, la réalité est dure à avaler. « Malgré des exploitations performantes et modernes, les candidats ne se pressent pas au portillon. »

Une retraite qui se fait attendre

Construite en 2020, la stabulation flambant neuve des Bony abrite, derrière l’étable, un « dairy robot R9500 GEA », robot de traite automatisé, qui permet aux brown swiss et aux prim’holstein de venir se faire traire en libre-service. « Elles sortent et rentrent comme elles veulent. » Un gain de temps et de confort indispensable. Surtout pour Christian qui s’occupe de la traite depuis plus de trente ans. « Ce n’était plus gérable, je me levais à 5 heures tous les jours et vu mon âge, ça commençait à être compliqué. Maintenant, je peux y aller à partir de 7 h 30, ça fait du bien. »

Le dairy robot R9500 GEA permet aux vaches de venir se faire traire de manière automatique, le 1er novembre 2022.

La création du Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) familial remonte à 1983. À l’époque, le troupeau n’atteignait pas plus de 25 vaches. « Avec mon frère, on arrivait à se libérer en juillet-août. Au moins trois semaines, chacun son tour. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ».

Installé depuis 2015 avec ses parents, suite au départ en retraite anticipé de son oncle, Quentin a le « goût de l’agriculture ». Pierre (l’oncle), lui, en a eu marre. « Je ne pensais pas qu’il s’intéresserait à la ferme et voudrait reprendre, en tout cas, je n’ai pas tout mis en œuvre pour que ça se fasse », et murmure que « s’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

À côté de lui, Quentin s’affirme. « Oui, mais non. J’ai toujours vécu dedans. C’était une évidence pour moi. » Christian reprend. « C’est vrai que quand on a travaillé toute une vie et qu’on voit que ça peut disparaître, ça fait plaisir, mais vu comment ça se passe, c’est beaucoup de contraintes pour peu de reconnaissance. »


« S’il n’y avait pas eu de succession, je serais déjà à la retraite et le nouveau bâtiment n’existerait pas. »

Christian, éleveur

Ne pas trouver de repreneur-associé inquiète la famille Bony. Un tel bâtiment équipé représente un investissement conséquent malgré les aides européennes et les aides à l’installation. Le Gaec familial a contracté un prêt important sur quinze ans. « Il y a des mensualités à rembourser avec un emprunt de plus de 500.000 € », détaille le père. Au-delà de la diminution du temps de travail, c’est aussi un pari sur l’avenir. « On pensait que ça serait plus attractif pour trouver un associé à Quentin mais peut-être que c’est l’inverse ». 

Quentin Bony, 29 ans, prend la suite de l’exploitation familiale, le 1er novembre 2022.

La modernisation d’une ferme est une bonne chose pour Philippe Voyer, mais ça ne fait pas tout. « S’intégrer à une entreprise, qui a une histoire familiale forte, en tant qu’associé, pose des prérequis au-delà du résultat économique de l’exploitation. C’est un mariage professionnel qui doit s’opérer », explique Phillipe Voyer, conseiller à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. Le partage des responsabilités, l’entente sur les méthodes de travail et la gouvernance de la ferme sont en jeu. Dans le Puy-de-Dôme (comme ailleurs), « il y a un travail d’accompagnement à faire pour les jeunes », concède le conseiller. Le travail en commun n’est pas encore assez pris en compte. »

Un avenir incertain

Accoudé sur une botte de paille, Christian se rend à l’évidence. « C’est la dernière année pour moi. C’est sûr. Mais je ne veux pas le voir peiner (Quentin) donc je lui donnerai un coup de main ». À côté, Danielle, qui s’occupe des veaux et de l’administration, acquiesce. « Moi aussi. »

Attachés aux vaches, Quentin ne se voit pas se séparer de l’une d’entre-elles, le 1er novembre 2022.

« S’il n’y a personne qui vient, je ne vais pas pouvoir m’occuper de toutes les vaches. Et le souci, c’est le bâtiment à payer. Le prix du lait ne va pas aider », déplore Quentin. S’occuper du troupeau lui remplit déjà bien ses journées. Le jeune éleveur envisage, à contrecœur, de traiter avec une entreprise de travaux agricoles « pour faire les gros chantiers ». « Ça serait une solution », suggère-t-il. Prendre un salarié, il y réfléchit. Mais ce n’est pas pareil. « L’implication ne sera pas la même qu’avoir un associé. »

À deux, on peut partager les galères. On se remonte aussi le moral. « Être tout seul, ça doit trop peser. J’aimerais qu’il profite de sa vie », confie Danielle.


« Je n’ai pas peur de travailler » : des élèves dans le sillon de leur parents au lycée Rochefort-Montagne

En terminale au lycée agricole de Rochefort-Montagne, de futurs éleveurs se forment. La majorité d’entre eux, issus du monde agricole, veulent reprendre le flambeau familial. 

Paul, 17 ans, élève au lycée Rochefort Montagne, le 12 avril 2022. Ses parents ont un élevage de Salers dans le Cantal.

« Ce que j’aime, c’est le matériel, l’entretien des équipements et donner à manger aux bêtes ». Lucas, assis à l’arrière du Duster ne tergiverse pas. « Pareil pour moi et la traite aussi », ajoute Nicolas à côté de lui. Les deux élèves de terminale CGEA (Conduite et gestion de l’entreprise agricole) au lycée de Rochefort-Montagne dans le Puy-de-Dôme se rendent au chantier de la semaine. « Les autres sont dans le minibus, il n’y avait pas assez de place », explique Alice, responsable de l’exploitation de l’établissement, derrière le volant du 4×4. Cet après-midi, les terminales viennent en renfort des « petits de seconde » pour clôturer une parcelle qui accueillera les 250 brebis de la ferme du lycée.

« Mes parents ont une centaine de vaches laitières à Briffons. Avec mon frère, on va rejoindre le GAEC – Groupement agricole d’exploitation en commun ». À 18 ans, Lucas a déjà son projet en tête. La charge de travail et les contraintes liées au métier ne l’effraient pas. Il les connaît déjà. « On ne fait pas ça pour l’argent, sinon on fait autre chose », commente-t-il d’un ton assuré en regardant la route de campagne défiler.

Des destins tout tracés

Arrivés sur place, les élèves s’éparpillent. Ravis d’être sortis de la salle de classe qu’ils ne supportent pas vraiment. Enfin dans « leur » environnement. Fanny et Gabrielle, 18 ans chacune, s’affairent à remonter les isolateurs pour placer le grillage sur les poteaux en bois. « Les isolateurs servent à faire passer le courant seulement dans les fils et pas dans le piquet », explique Fanny. Originaire de Bongheat, « entre Thiers et Courpière », ses parents possèdent une exploitation de vaches laitières et allaitantes. Son avenir est aussi tout tracé.


« Je sais que je n’irai pas faire les personnes âgées, je suis trop attachée aux vaches. On a grandi dedans avec mes frères. Je n’y laisserai pas, c’est dans mes racines.  »

Fanny, élève en terminale au lycée Rochefort-Montagne

Intéressée par la transformation, Fanny aimerait créer un atelier pour vendre des produits laitiers : fromages, beurre et crème. « C’est super important de se diversifier ». La jeune femme envisage une formation supplémentaire à Aurillac (Cantal) ou dans une laiterie après le bac. Peu importe. « C’est mon frère qui m’a inscrite à Rochefort pour que je découvre d’abord l’animal ».

Depuis les années 2000, le niveau de formation des chefs d’exploitation n’a pas cessé de croître en France comme le soulèvent François Purseigle et Bertrand Hervieu dans leur ouvrage Sociologie des mondes agricoles (Armand Colin, 2013). En 2010, 17 % d’entre eux avaient un diplôme d’études supérieures. Ils n’étaient que 11 % en 2000.

Fanny et Gabrielle, 18 ans, font partie des quatre filles sur les douze élèves en terminale. « Certains exploitants ont encore du mal à prendre en stage des filles », confie Gabrielle. En France, seule une exploitation sur quatre est dirigée par une femme.
Concours de bottes entre Paul et Lucas, le 12 avril 2022.

En parallèle de leur scolarité, certains aident chez eux, d’autres sont salariés d’une exploitation pour gagner en expérience. Le mercredi après-midi et les week-ends, les sorties se résument souvent à donner des coups de main. Pas de répit. « Je me rends compte que le lycée est un peu leur défouloir », confie Amandine, surveillante arrivée dans l’établissement il y a quelques mois. Beaucoup ne partent pas en vacances. Fils, filles ou famille proche d’éleveurs, ces jeunes ne se voient pas faire autre chose. L’agriculture figure parmi les univers professionnels où la transmission intrafamiliale est la plus forte, en particulier l’élevage.

Gabrielle, elle, ne veut pas reprendre la ferme familiale en l’état. Trop grande pour elle toute seule. Trop dur aussi. Elle rêve d’avoir une petite exploitation à taille humaine. « Je ne sais pas encore trop, mais quatre ou cinq vaches laitières et une quarantaine de chèvres ». Avant de s’afférer à planter un piquet, Fanny demande : « Tu prendras des montbéliardes dans tes quatre cinq vaches ? »