« Bâtir un projet de reprise de ferme se prépare en amont », la vision de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme

Une ferme dans le Puy-de-Dôme, le 4 novembre 2022.

La chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme accompagne les agriculteurs, qui le souhaitent, à transmettre leur ferme. Des conseillers spécialisés aident les futurs retraités à préparer leur projet le plus tôt possible. Sur le terrain, le défi est de taille.

Olivier Lastiolas, conseiller transmission à la Chambre d’agriculture du département, le constate. « Un agriculteur propriétaire de 100 % de ses terres, ça n’existe pas dans le département. Et les parcelles en fermage (louées) sont le plus souvent disséminées sur une ou plusieurs communes. » Un chef d’exploitation doit convaincre ses propriétaires de lui faire confiance. Et, ça se prépare en amont. « C’est souvent le problème pour certains. Il n’y a pas eu d’anticipation pour la transmission de la ferme ».

Le maintien de l’unité foncière reste la principale difficulté

« Une connivence étroite doit s’instaurer entre le cédant et le repreneur pour éviter le “plan B” ». À savoir que le propriétaire vende au plus offrant. « S’y prendre le plus tôt possible augmente les chances, martèle le conseiller, afin que celui-ci se pose les bonnes questions pour préparer la reprise. »

Attaché à ce qu’il a construit sur ses terres, l’agriculteur cédant veut que sa ferme perdure

Philippe Voyer, conseiller à la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme

Des stages de parrainage pour accompagner

« Attaché à ce qu’il a construit sur ses terres, l’agriculteur cédant veut que sa ferme perdure », souligne Philippe Voyer, conseiller transmission. C’est dans ce sens que des stages de parrainage sont mis en place par la chambre d’agriculture. D’une durée de douze à quinze mois, ils permettent au candidat qui souhaite s’installer de se tester sans obligation de reprise « une fois qu’un bon feeling est établi. » Mais également d’expérimenter l’environnement autour de la ferme. Se faire connaître et s’insérer dans le milieu.

Au travers du répertoire départ-installation, la chambre d’agriculture inscrit, chaque année, entre 40 et 50 exploitations. Et près de 230 cessations d’activités sont comptabilisées sur la même période. L’accompagnement des jeunes candidats à l’installation s’avère crucial pour le maintien des fermes puydômoises.

François Purseigle : “On assiste à une banalisation du métier d’agriculteur”

Un champ de tournesol dans le Puy-de-Dôme, septembre 2021.

L’agriculture française se transforme. Dans son dernier ouvrage co-écrit avec Bertrand Hervieu, « une agriculture sans agriculteurs », François Purseigle, sociologue, explique que la diminution du nombre d’agriculteurs s’accompagne d’une mutation des fermes familiales. Explications.

«On est déjà dans le mur. D’ici 2030, ce sont 200.000 chefs d’exploitations agricoles qui auront l’âge de partir à la retraite ». Le constat est posé par François Purseigle, sociologue et professeur à l’Institut national polytechnique de Toulouse. La crise climatique et énergétique risque, de surcroît, de précipiter certains départs. Pour le spécialiste des mondes agricoles, une recomposition du métier d’agriculteur est en cours en France et le renouvellement des générations, un vœu pieux.

Quelles sont les conséquences de cette diminution de la population agricole ?

Il y a un paradoxe. Normalement, lorsqu’une population s’amenuise, l’homogénéisation de celle-ci s’observe en sociologie. Pour le monde agricole, on constate tout l’inverse. Aujourd’hui, on assiste à une fragmentation des projets entrepreneuriaux portés par les chefs d’exploitation. En particulier, entre ceux qui reprennent et ceux qui travaillent la terre depuis des décennies. Il y a à la fois des projets de type commerciaux, patrimoniaux et industriels qui composent le paysage.

L’agriculture prend un autre visage que le chef d’exploitation que l’on connaît. Derrière le mot agriculteur, les réalités sont de plus en plus disparates : il y a des chefs d’exploitation qui ressemblent davantage à des patrons de PME voire à de grandes entreprises qu’à des patrons d’entreprises familiales où la main-d’œuvre est essentiellement familiale. Cela invalide l’usage du singulier lorsqu’on parle des agriculteurs.

L’agriculture française reste tout de même encore familiale…

Oui, bien sûr. Elle le reste pour des raisons capitalistiques, mais ce ne sont pas les mêmes raisons qu’autrefois. Le renouvellement se faisait au sein de la famille. Ce qu’on constate, c’est que le chef d’exploitation est aujourd’hui, seul ou avec un ou plusieurs salariés, ou même sous-traite une part importante de son activité. On assiste à une banalisation du métier.

Qu’entendez-vous par banalisation ?

Je parle des conditions d’accès. On constate que ce ne sont plus systématiquement les enfants d’agriculteurs qui reprennent. Et quand bien même ça le serait, ils le font à leur façon. Ils ne reprennent pas le projet à l’identique avec les mêmes aspirations que leurs parents. Pour la plupart, ils n’ont pas envie que l’entreprise agricole se confonde avec le projet de vie ou même patrimonial. C’est ce qui fait que certains enfants d’agriculteurs ne se maintiennent pas.

François Purseigle, sociologue des mondes agricoles à l’université de Toulouse. Photo DR

“L’agriculture française reste familiale mais ce ne sont pas pour les mêmes raisons qu’autrefois. Elle le reste pour des raisons capitalistiques.”

François Purseigle

L’accès au foncier est-il un obstacle à l’installation ?

Oui dans une certaine mesure, mais je pense qu’on se met le doigt dans l’œil en se focalisant sur ce point. Il faut comprendre que c’est surtout l’inadéquation entre l’offre et la demande (le cédant et le repreneur) qui est prédominante dans la question de l’installation. Ce n’est pas l’investisseur chinois dans l’Allier qui rachète 1.000 hectares qui fait que personne ne peut s’installer dans ce département. Ce sont les familles agricoles en premier lieu qui sont les adversaires de l’exploitation familiale. Les successeurs ne veulent pas s’asseoir sur leur patrimoine ou l’agrandissement des structures est privilégié… Par ailleurs, les exploitations libérées sont souvent de taille moyenne et ne correspondent pas à ce que recherchent les nouveaux porteurs de projet.

Il sera difficile dans ce contexte de renouveler les générations...

Ne soyons pas naïfs. Je pense que nous n’y parviendrons pas. Par contre, il faut faire en sorte que nous ayons un renouvellement des actifs en agriculture et qu’on maintienne la capacité de production des exploitations. Cela ne sert à rien qu’un entrant reste seulement cinq ans.

Le déficit de vocation reste aussi un écueil ?

C’est clair que malgré des aspirations différentes entre la vie familiale et la vie professionnelle, l’activité agricole fait l’objet de contraintes fortes auxquelles on n’a pas forcément envie de se soumettre. Ça reste un métier synonyme de dépendance… Déjà à l’égard de la banque. C’est une réalité.

Une Agriculture sans agriculteurs, François Purseigne, Betrand Hervieu, Les Presses SciencesPo, septembre 2022, 16 euros.

La France se vit toujours comme un pays de petites et moyennes exploitations agricoles autonomes. Ce modèle, voulu de longue date et renforcé durant la période de modernisation de l’après-guerre, vole en éclats, laissant place à des formes nouvelles et très diverses d’organisation du travail et du capital agricoles. La figure du couple exploitant ses terres, l’osmose totale entre vie au travail et vie familiale, l’idée d’une immuable unicité paysanne, sont en train de s’effacer. À ces mutations souvent douloureuses s’ajoutent l’effondrement démographique de ce milieu professionnel, la fragilisation de sa place et de son image au sein de la société française, les inquiétudes environnementales.